Authentique





     Il en est de la vie comme du reste, au vu de la brièveté des choses, on cherche tous à ne pas se faire escroquer sur la marchandise. Un peu comme Jean de Florette qui cherche à cultiver de "l'authentique" sous l'œil moqueur d'Ugolin et du papet à qui on ne la fait pas. La mode est à la surenchère de produits et de comportements tous plus authentiques que les autres, que ce soit pour les légumes bio, les voyages ou les motocyclettes. Les conducteurs à la petite semaine de rétro se moquant des néo-rétro qui toisent de haut les roules-toujours de machines modernes qui le leur rendent bien. Chacun naviguant entre désir d'appartenance à un groupe et besoin de se différencier du commun. Le tout avec une naïveté avoisinant les comportements qu'on pouvaient avoir quand nos coupes en brosses avaient du mal à supporter les peignes et que nos genoux restaient écorchés malgré des bermudas trop longs et des chaussettes remontées au maximum pour s'affranchir des rigueurs du climat. Parce que dans tout ça il y a des regards de gosses qui ne trompent personne, les portraits sur le vif d'un ami photographe en témoignent.

     Dans nos pays de cocagnes et de nantis, la motocyclette est devenu quoi qu'on en dise une anecdote, laissant le scooter aux prolos comme moyen de transport. Qu'on ne s'y trompe pas lors des quelques jours d'intempéries majeurs, les rares deux roues qu'on voit sont des scooter pilotés par des lascars en pantalon de chantier et anorak bons marchés. On pourrait presque les voir sourire derrière leur cache nez et la visière du casque quand on les salue à motocyclette sur les routes de campagne rendues infernales par une boue neigeuse tenace. Pour retrouver un usage de la motocyclette comme on l'a connu jusqu'au milieu des années soixante dans nos contrées, il faut se déplacer dans des régions où la répartition des richesses est loin de notre opulent occident en fin de règne. Qu'on se rassure, le libéralisme conquérant travaille à un certain rééquilibrage en la matière.

     C'est donc bien le plaisir qui nous fait carburer sur deux roues contre vent et marées et non pas la raison ou une quelconque recherche d'économie. Il n'y a pas plus d'authenticité dans tout cela comme on voisine avec le concept de tourisme en comparaison de la vraie aventure que constitue celle des migrants voyageant à leur risques et périls vers nos eldorados. Inutile donc d'établir une hiérarchie du vrai motard et du faux motard comme d'autres en leur temps caricaturaient les digressions alcoolisées entre vrai chasseur et mauvais chasseur. Nous roulons par plaisir, celui-ci étant incarné par des véhicules qui nous ressemblent autant qu'un chien et celui qui se croit en être le maître.


     De la même manière, nos montures ne sont que le fruit de nos chimères, parlant de nous plus qu'elles ne parlent d'elles. Les pseudo tout-terrains des villes hyper technologisés étant bien incapable de survivre à nombres de routes rustiques, les néo-rétro témoignant juste des goûts esthétiques de leur propriétaires et les rétros peinant à être utilisés pour un usage quotidien, même en fournissant leur lot d'ongles norcis et de jurons aux dieux de la mécanique à leur propriétaire. Il va de soi que je m'inclut dans ce portrait pour avoir tenté au fil du quart de siècle passé l'usage et le contre usage de ces différentes machines. Ainsi un gros trail urbain occidental n'aura jamais l'agilité d'un quart de litre d'un pays émergeant pour tailler la route autour du monde. Un néo rétro n'aura jamais le même plaisir de conduite qu'un longue course de sa gracieuse majesté même s'il en a l'étiquette. Un rétro même en cylindre qui pue à la fiabilité teutonique sera malmené dans le trafic moderne et vous laissera transpirant et rageur de nombreuses fois pour aller au boulot. Vous trouverez toujours des pilotes émérites vous prouver le contraire au guidon de mastodontes lors de rallyes raids à grand renfort d'oseille, des marchands d'aspirateurs pour vous faire prendre des vessies pour des lanternes, et des mécaniciens chevronnés pour rouler sur des antiquités au quotidien. L'exception n'étant pas la règle, le péquin lambda vit avec son temps et roule de même. Alors n'écoutez que votre cœur et roulez comme bon vous semble, en vous gardant bien de stigmatiser ou de vilipender vos congénères ayant fait d'autres choix.




     A des milliers de kilomètre de là, sous d'autres cieux, les aventuriers de la route arpentent la latérite au guidons de motocyclettes échues par la modestie de leurs moyens et la nécessité de véhicules rustiques. Ils affrontent des nids de poules où pourraient loger un postérieur d'hippopotame, des crevaisons liées à la piètre qualité des pneumatiques et un réseau routier redoutable pour la mécanique. A tel point qu'une de mes connaissances récemment arrivée chez nous était inquiet de rouler sur nos routes car le bitume lui semblait trop lisse pour ne pas le faire glisser. La terre lui semblait plus rassurante et stable pour un deux roues. En ces contrées magnifiques, point n'est besoin de loi sur le bridage des motos à cent chevaux ou de normes anti-pollution, les poneys pétunent et bravent intempérie et incurie politique en matière d'infrastructure routière. Sans compter le brigandage que nous ne connaissons plus depuis plusieurs siècles. Et quand bien même vous voudriez vous frotter à ces aventuriers du quotidien en vous transportant jusque chez eux avec armes et bagages, enfin surtout les armes ces derniers temps, vous resteriez en deçà de leur quotidien. Alors restons humbles, acceptons notre statut de touriste conducteur d'engins de loisirs et saluons ces motards qui s'ignorent. Et s'il vous arrive de croiser un quidam qui va au boulot en scooter lors de vos escapades pour le plaisir, n'hésitez plus à le saluer respectueusement comme il convient, lui l'aventurier du quotidien.






Merci pour la photo

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