Rituelométrie variable



    


     L'appel du Muezzin me réveille après un trop court sommeil dans un hôtel miteux de la banlieue de Maboul. Par la fenêtre le soleil clair darde ses premiers rayons dans le froid sec d'un automne qui s'annonce rigoureux.  Je ne vois pas le minaret mais l'appel à la prière envahit tout l'espace de la petite chambre, les hauts parleurs ne doivent pas être bien loin... ça fait un moment déjà qu'au Rustikhistan les minarets ont coiffés les clochers des églises bétonnées construites à la hâte pour un renouveau qui  n'a pas eu lieu. Les soumis aux enseignements du Coran  fustigés un temps ont pris le pas sur les autres rites anciens, le dogmatisme des laïcards n'y a pas suffit. Les religions urbaines du jour qui comptent le plus grand nombre de fidèles étant l'écologie et le sport, mais pour combien de temps? Comme ces religions nouvelles sont le fruit de l'opulence, survivront elles aux énergies fossiles?

     Il est difficile d'occulter le fait que l'homme n'arrive pas à s'affranchir de la pensée magique,  du besoin de communion, de se rassembler vers un même objet de culte. Même à l'heure de l'uniformisation des cultures, de la globalisation, l'homme réinvente sans cesse des cultures différenciées. Comme on peut le voir avec la culture pop. Sans cesse les hommes reconstruisent des rites de passages vers les différents âges de la vie, des rites pour la fête et les repas, les joies et les peines. On peut ironiser sur ces pratiques, l'homme en a besoin pour vivre, se projeter, exister. Et le comique est celui qui se moque des rites de l'autre en consultant son horoscope et avalant des comprimés homéopathiques.

      Le dogme, la vérité révélée qu'on ne peut contester, semble remplir une toute autre fonction, celle de concrétiser un pouvoir, pourquoi pas une emprise.  C'est fou ce qu'on peut cogiter le matin avant le thé... Autant se lever et prendre son paquetage. En descendant l'escalier à la propreté douteuse, je croisais de la main d'œuvre bon marché venue de tout l'orient pour maintenir les salaires à la baisse et enterrer définitivement la classe moyenne Rustikh à l'insu de son plein gré. A l'accueil, le concierge endormi semblait indiquer de sa tête affaissée de côté sur ses bras accoudées au comptoir la direction du restaurant de l'hôtel.

     Un thé noir brulant et deux galettes plus tard j'étais dans la rue calme de ce matin précoce, décidé à retrouver la beauté de la campagne environnante. L'exode rural et l'accueil de gens moins bien loti ailleurs avaient profondément changé la face des villes du Rustikhistan pour s'éloigner de la tranquilité d'une ville d'eau helvétique. Le temps passait et l'envie d'aller pétuner juché sur ma motocyclette sur les routes défoncées de montagne se faisait de plus en plus récurrent.

     Comme le quartier était populaire, pas de toxicomanes au foutinegue, pas de pédaleur urbain haute technologie mais des scooters et des vélos alternent l'encombrement des voies par les trolleybus. C'est curieux comme ce mode de transport bon marché n'ait pas fait flores dans les pays riches au profit de solutions tramouaiesques plus polluantes (énergie nucléaire) et plus rentable en terme de clientélisme électoral. ça donnait au paysage urbain un petit côté Europe de l'est d'avant la chute du mur qui n'était pas pour me déplaire. Ces zones de non-droit policières mettaient au moins à l'abri de l'ambiance normée des quartiers plus aisés, paradis de la bourgeoisie.

          Il n'y avait plus de classe moyenne urbaine, elle avait fuit les évolutions immobilières ce qui avait modifié le paysage, les odeurs des marchés, l'élégance de ses habitants. L'exotisme apporté n'en était plus un et était devenu la norme, reléguant les indigènes dans les montagnes. Au rythme de la bécane, la ville cède le pas aux plaines de maraîchage, les centres commerciaux périphériques ayant plié leurs voiles hideuses faute de clientèle se croyant à l'abri de la plèbe, n'en laissant que les stigmates déserts d'infrastructures et de ronds points.

     La paupérisation aidant, on avait vu refleurir les deux roues utilitaires avec ou sans moteur, les fourgonnettes et les fourgons. Comme quoi le capitalisme sauvage ambiant avait des conséquences inattendues sur la rationalisation de la course au consumérisme. Longtemps l'occident avait délocalisé sa misère vers l'hémisphère sud avec la guerre et nos déchets plus ou moins recyclable. L'heure était aux ghettos de luxe cernés de quartiers populaires de plus en plus précaires.

     Le Rustikhistan se prête mal à l'agriculture extensive, même dans la vallée. Et depuis qu'on a finit de suicider l'agriculture indépendante, il ne reste plus grand chose dès qu'on quitte les bassins de population urbains. Le capitalisme se fout de la campagne hors tourisme et possibilité d'extraction de matières premières, donc on peut s'y promener peinard. Au final tout ça donne une vraie bonne nouvelle, à savoir une paix royale loin des injonctions au tout propret et garanti sans OGM.

     L'avantage de cette évolution sociétale, c'est un rapport au temps qui s'orientalise et le maintien de l'ivresse comme soupape de sécurité à tout ce qu'on fait pour notre bien. L'appel du muezzin n'a pas fait fermer les bistrots comme dans d'autres pays ayant une lecture littérale des livre saints. Au final la conversation intérieure du motocycliste en goguette est sans doute ce qui se rapproche le plus de l'introspection du méditant de quelque obédience qu'il soit. L'homme sans religion ni foi existe t'il vraiment?


    





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