Le sens interdit



                   Dans un monde où cinq fruits et légumes sont nécessaires, où l'alcool ne peut plus se boire que par excès, ou le tabac tue et où lire n'est plus accessible à beaucoup car il nécessite un effort plus important que le prédigéré de l'audiovisuel, est-il encore possible de penser?
Quand on objective le risque et qu'on prend conscience que le premier lieu de violence est à l'intérieur de la famille, que le suicide tue bien plus de gens que la route, et que l'hôpital, ses erreurs et ses infections tuent plus de monde que toutes les maladies réunies, les accidents de la route ou les suicides, ça vaut le coup de se poser un peu et de s'interroger.

Alors j'ai repris ma moto laissée au garage qui ne servaient plus ces derniers temps que pour la ballade dominicale pour cause d'insertion sociale et de semblants. Il fallait que je sente à nouveau la pluie et le vent, pour vivre encore la morsure du froid, pour éprouver physiquement ce qui m'entoure, et cesser de chercher à le penser raisonnablement. J'ai cessé de m'inquiéter de ce monde et de mes rapports avec lui, il allait devoir faire avec qui je suis. Si je convenais de la nécessité du respect des lois qui s'appliquent à tous, j'entendais chercher les espaces de libertés qui restaient dans les interstices.

Il est vrai que les autoroutes sont plus fonctionnels, sécurisants, rapides. Plus chers aussi. Mais vous ne trouvez pas qu'on s'y ennuie? Je me suis secoué, ai accepté de perdre une demi heure sur le trajet habituel en prenant les départementale. Fallait que je me reprenne, ça devenait nécessaire. Pourquoi n'étais-je plus assez raisonnable pour perdre du temps à gagner du plaisir? ça n'avait pas de sens de se laisser entraîner par ce courant de comptables et de boutiquiers qui voulaient me faire croire que faute d'éternité je pourrais mourir en bonne santé.

Parce qu'il faut vous dire que la moto, ça aide à réfléchir, si si, pas d'autoradio, pas de voix suave de GPS, et une relation directe avec ce qui vous entoure, les rafales de vent comme le fumet des élevages environnants. Et en route le long de la Loire en surfant sur l'asphalte avec l'élégance d'un tracteur russe, je faisais l'inventaire de ce qui faisait sens dans mon quotidien. Il y avait la lecture bien sûr, indéfectible maîtresse au plaisir sans cesse renouvelé, jalouse du temps passé avec la motocyclette qui constitue mon autre relation adultérine à rendre jalouse ma compagne. Et puis, et puis quoi? Et bien en fait il y a maintenant, le choix des mots, le plaisir de rencontrer des gens, de vivre auprès de ceux qu'on connait, la solitude aussi, avec sa tranquillité. Seul l'instant compte, aperçu de l'éternité.

Les angoisses de morts, de souffrances, de manque, sont nuls et non avenu car ils seront forcément au rendez-vous. Et comme le bonheur c'est quand les emmerdes se calment, il ne reste que maintenant. Je serais toujours à la fois seul et interdépendant, pétri de paradoxes. Mais rien ne remplacera le goût des tomates ramassées dans le jardin ou le plaisir de lacer consciencieusement  ses baskets de toiles, les mêmes que quand j'étais môme, pour aller faire pétarader ma bécane et écumer les vicinales des coteaux du Layon.

A l'heure ou nous devons choisir entre la peur et l'homme marchandise, je fais le pas de côté de prendre le plaisir. Je veux vivre à plein, en n'ayant pas oublié le goût du malt ou du houblon, le son du rock'n roll ou du piston dans la chambre de combustion, la vue de la route qui se déroule à l'infini, la douceur de la peau de l'être aimé, l'odeur de la pluie à la fin d'une belle journée d'été. Je laisse le reste aux gens que ça préoccupe, n'ayant pas besoin d'autres richesses.

Commentaires

  1. Bonjour,
    J'aime beaucoup votre article pétri de bon sens et de philosophie. Je vais lire les autres. Je vais classer votre blog dans mon internet explorer dans mon dossier "Philosophie, philosophe, réflexion " ...

    Merci beaucoup pour le partage et bonne continuation.

    CDP.

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire

Articles les plus consultés