Qui se souvient de Melnibonée?


     C'était une île, une civilisation à elle seule au milieu des barbares. La puissance de ses dragons et la force de ses magiciens lui permettait encore de lutter contre l'effondrement malgré la proportion de plus en plus importante d'esclaves sur ses terres. Les citoyens aristocrates d'Imryr, la cité qui rêve, ne vivaient plus que dans le virtuel, la puissance de leur magie leur épargnant la concurrence des barbares et les turpitudes du quotidien. Et pourtant, ce monde a été englouti par les hordes avides du réel, de la faim, de la vie.

Aujourd'hui, nous vivons dans un pays tellement luxueux que l'on défèque dans de l'eau potable, où même le pauvre des pauvres gagne mieux sa vie qu'un haut fonctionnaire Haïtien. Dans ce pays les hommes libres sont rares, les citoyens encore plus du fait de la désaffection pour la chose publique. L'accès à la sagesse décroit au rythme de la croissance de l'accès à la culture par la dématérialisation. Ces paradoxes sentent la fin de race, le soin palliatif d'une civilisation qui n'en peut plus de mourir. 

Certains trouveront ces propos bien sombres et pourtant ils sont porteurs de bien des espoirs. La nature étant extrêmement bien faite la mort est toujours l'annonce d'une naissance, malgré les épouvantails millénaristes écologisants de ceux qui s'imaginent pouvoir tuer la terre. Trop anthropocentrés, ils ne savent pas que c'est elle qui aura le dernier mot et que notre espèce sera éteinte depuis des millions d'années avant que la terre ne rende son dernier souffle. Elle survivra à notre maltraitance qui nous tuera plus sûrement.

Je disais donc que la mort de notre civilisation porte en elle les prémices d'une autre, n'en déplaise aux angoissés du grand remplacement qui n'ont pas été foutu de faire assez de gosses pour ne pas s'en plaindre ou trop fainéants pour changer les choses. On s'imagine être éternels avec notre accès aux soins et aux technologies mais nous ne faisons que rêver notre vie dans nos tours d'ivoire occidentales. Viendra le temps de ceux qui cultivent, qui construisent, qui survivent, les sans dents de la Terre. Ils sont en forme, n'ont pas peur de partager leur pain et leur toit avec leurs pairs et se lassent peu à peu de nos pillages de leurs pays. Quand ils prendront conscience que nos citadelles dorées ne sont que des châteaux de cartes sans l'électricité et leurs frêres esclaves, ils souffleront notre monde comme une bougie.

C'est le lot de toutes les formes de vie sur terre, de la fleur aux plus brillantes citées en passant par l'homme. Qu'importe l'heure ou la chronologie, homo occidentalis a vécu. Reste l'art, comme les nobles nécromanciens de Melnibonée, ultime refuge, dernier monde perpétuellement à conquérir. Alors savourons la littérature, célébrons la musique, contemplons nos palais , nos statues, et nos toiles, enivrons nous de la scène. Jouissons de tout cela avant que cela n'ai plus aucun sens à part pour quelques archéologues qui les redécouvriront dans des millénaires, si tant est que nous laissions des traces. 

Qui se souvient de Melnibonée?

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