Il pleut à printemps.


     Dans les hôpitaux psychiatriques français, nombre d'adultes handicapés sont hospitalisés par défaut de lieux de vie où les accueillir. La complexité des financements fait que les lieux de soins comme les hôpitaux sont financés par l'état alors que les lieux de vies médico-sociaux relèvent de la région avec toutes les difficultés de budget qu'on lui connait pour cause de décentralisation des compétences sans faire la même chose avec les ressources. En clair nos impôts servent à accueillir des gens dans des lieux de soins là où ils pourraient vivre dans des lieux de vie plus adaptés et moins onéreux...
Des préoccupation de pays riche me direz vous, mais il est vexant d'attendre que nous n'ayons plus les moyens pour être bienveillant à l'égard de nos concitoyens de la diversité.

Par le passé on les a gazé outre-Rhin pendant qu'on les  affamait chez nous: 40000 morts de la révolution nationale dans les seuls hôpitaux psychiatriques français, ça vaut le coup de s'y attarder. Après la guerre on les a lobotomisés lorsqu'ils étaient trop encombrants faute de médicaments efficaces. Lorsque la chirurgie s'est démocratisée on les a stérilisés et il n'est pas rare encore de croiser de nos jours des relents d'eugénisme dans les comptes rendus et les propos des professionnels.

Parce qu'au final mon soucis est celui là: l'homme trie, classe, range pour organiser sa réflexion, c'est entendu. Pour autant, est-il nécessaire que la majorité cache la poussière sous le tapis et choisisse qui a le droit d'avoir une vie décente et sur quels critères?

Faute d'assumer de laisser mourir le fou, le débile et le crétin des Alpes, on le parque et on l'ostracise à moindre coût. Et encore, à moindre coût, même pas, c'est un peu une patate chaude que les administrations se jettent les unes aux autres. Du côté des professionnels l'accueil et la bienveillance sont bien souvent au rendez vous mais la polyvalence demandée est préjudiciable à l'accompagnement des gens qui viennent et vivent là.

Je ne suis pas un idéaliste, ce système coûte cher, fabrique de la souffrance et est contre-productif puisqu'il génère du handicap et de l'assistanat. La démagogie et le clientélisme ne feront jamais de la politique.

Dans ce monde où l'on concentre des gens différents, pas forcément pour leur ethnie ou leurs préférences sexuelles, j'ai su satisfaire au fil des ans ma curiosité de la vie. Enrichissement sans cesse renouvelé, j'y ai rencontré des êtres rares et des véritables génies dans leur genre.

L'Archange était de ceux là. Hospitalisé depuis l'enfance pour son agressivité et son décalage avec le monde des gens "normaux", l'épilepsie avait ravagé son cerveau, les chutes répétées labouré son crâne et son front. Dans ses colères il avait tellement maltraité ses oreilles qu'elles n'étaient plus que des bourrelets de chairs vaguement poilues. Il portait de manière irrégulière un casque bleu en résine qui lui donnait l'air d'un cycliste en goguette. il ne savait pas se reconnaître dans un miroir et avait peu d' autonomie dans les gestes quotidiens de la vie. Ses colères l'éloignaient des lieux de vie possibles, l'absence d'investissement aussi. Il était là et sa présence n'était pas interrogé, trublion surréaliste au milieu des patients en situation de crise.

Sa conversation était composée de propos empruntés à des soignants, d'expressions de la vie courante déformées en fonction de ce qu'il en avait entendu faute d'avoir pu en comprendre quelque chose. Sa passion pour le boudin aux pommes était proverbiale, ses goûts en matière d'associations vestimentaires pouvaient vous fracturer la rétine. Il avait une capacité à s'allonger au sol et à marteler une porte de ses pieds qui passait l'entendement. Même ses troubles du sommeil divertissait mes nuits de travail lorsqu'il se présentait à la porte du bureau infirmier avec pour seul vêtement une veste de pyjama à la propreté douteuse . Il me parlait alors à la troisième personne de ses peurs et son rire en s'enfuyant dans le noir des couloirs de l'unité aurait tenu une bonne place dans un film d'horreur.
Somme toute quelqu'un de bien plus curieux à côtoyer que nombre de nos concitoyens.

Et bien cet homme a tenu la phrase la plus poétique qu'il m'ait été donné d'entendre.
C'était à la fin d'un mois de mars, je changeais des draps dans une chambre dans l'attente d'une nouvelle hospitalisation pour quelqu'un. J'étais en compagnie d'une de mes aînées qui me contait l'histoire du lieu et des patients qu'elle avait accompagné au cours de sa carrière, véritable mine d'or professionnelle. Une référence en matière de regard et d'accompagnement des gens en manque de cases bien étiquetées et de préoccupations bourgeoises.
Le vent soufflait au carreau de la fenêtre en précipitant bruyamment une pluie abondante qui occultait la vue des arbres malmenés par la tempête. D'un pas court et précipité, l'Archange s'est approché à mes côtés, le pantalon tombant sur les hanches, le polo constellé de décorations alimentaires et baveuses.
Il a levé ses arcades sourcilières maintes fois recousues suite à ses chutes et ses automutilations. Le regard pétillant malgré l'apaisement des neuroleptiques il a montré du doigt la fenêtre et a dit d'une voix calme et assurée contrastant avec ses bégaiements habituels et ses cris:

"Il pleut à printemps."






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