Le soucis de l'autre



     A l'heure ou l'autre fait bien souvent soucis, parce qu'il vient de loin, parce qu'il est différent, parce qu'on a peur, il est bon d'avoir le soucis de l'autre. Cette attention se développe d'abord autour de centres d'intérêts communs, même si la bienveillance aidant, elle peut s'étendre à tout ce qui nous entoure.

Il y a soixante treize ans, l'année fut terrible, les orages d'aciers étaient nombreux. On sentait la fin d'une époque dans l'odeur de la poudre et le fracas des combats, ou tout du moins il était visible de voir de quel côté le fléau de la balance allait pencher. Ces événements allaient engager le monde vers de profonds changements, laissant sur le carreau bien des gens hébétés d'avoir survécu à cet apocalypse.

Les récits populaires parlent de cette période comme celle de la naissance d'alternatives aux événements festifs autour des sports mécaniques. Certains avaient besoin de se retrouver autour de leur passion commune pour la motocyclette mais ne souhaitaient plus s'encombrer d'une idée de la compétition qui n'avait plus aucun sens pour eux qui avaient frôlés l'absurde et l'ivresse d'être encore en vie.
De plus, à cette époque de grands chamboulements, l'avènement de la production d'automobiles populaires sonnait le glas de la moto utilitaire et invitait à défendre ce mode de déplacement à l'obsolescence programmée.
Par esprit grégaire sans doute, pour prolonger une camaraderie qui leur avait sauvé la vie sûrement, des rescapés bravaient les intempéries sur  deux ou trois roues improbables pour se retrouver et se réchauffer le coeur dans un environnement rustique.

Les cercles ainsi créés autour des feux de camps  par des bivouacs sommaires se sont répétés, se sont enraciné et ont pu se perpétuer au fil des générations. L'invitation à l'essentiel, au maniement de la clé à œil pour rouler toujours plus loin malgré la fatigue de la mécanique. L'usage de la pelle de tranchée pour pelleter la neige, enfoncer les piquets ou s'assoir au bivouac. Alléger le bagage au maximum de ce que l'âge ou les blessures de la vie permet pour goûter l'instant présent, remercier d'être toujours là à profiter du jour qui passe.

Trois ou quatre générations de motards se sont succédées depuis que les lambeaux des troupes rustikhs sont revenues de l'enfer. Sur les rassemblements à l'hiver si doux peu nombreux sont les participants qui ont encore en tête cette histoire, sans compter ceux qui voudraient la réinventer en lui trouvant une origine bien plus tardive issue des marionnettistes d'utopies au kilomètres. Le Bougnalistan résonne à la fin de l'automne de grandes kermesses appelées hivernales aux accents de clowns tristes. Les étendards régionaux ne masquent pas l'amertume d'avoir affaire à une coquille vide roulée par le vent sur la plage des souvenirs.

Malgré tout, les années passent et les liens se tissent, on se reconnait en peu de  mots, autour de quelques signes et on se retrouve heureux ensemble. Les groupes d'affinités ont forcément des effectifs restreints, mais cela garantit leur qualité. On s'intègre à des événements à l'occasion, on ne se voit pas assez souvent, mais on sait.

On sait qu'en un message on peut faire son paquetage et rappliquer dare-dare, on sait qui appeler même au milieu de la nuit, on sait avec qui se laisser aller sans être jugé ou réduit à la caricature de ce qu'on méprise. Les idées sont diverses et variées, les opinions divergent souvent mais le respect est toujours présent. Certains y verront le pire plus que le meilleur, j'y ai trouvé quelque chose qui se rapproche le plus de ce que d'aucuns appellent l'amitié.
Le cercle de mes amis est petit, le réseau des événements que j'affectionne se raréfie, mais il affectionne l'esprit rustikh, les brelles de radins et l'ouverture d'esprit. Les parcours sont cabossés, les esprits fébriles, on y préfère les montagnes russes aux manèges de petits chevaux de bois. Loin des intégristes monomaniaques ou des fétichistes collectionneurs de salon, le seul mérite étant de se rapprocher de soi-même.

Inutile de vous triturer les méninges, tout cela est absurde, inutile et vain. Mais ça a la saveur de l'éternité.





Commentaires

  1. Superbe. Et la conclusion.... ��

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  2. La conclusion se suffit à elle même, mon essentiel étant bien souvent l'inutile des autres...

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