Le guacamole du vendredi soir

   
     La semaine se terminait, course effrénée pour répondre aux injonctions environnementales, boulot fait pour arriver à payer les factures, factures payées pour arriver à s'abriter, abri retrouvé pour s'adonner à une activité rare et suspecte: la paresse.

Cerné par un monde de gens épanouis au travail, exaltés à l'idée de pratiquer une activité sportive ou de partir en voyage organisé en famille, l'idée de ne rien faire peut sembler saugrenue voire même déviante. La maison anormalement silencieuse invitait à l'indolence et je me surprenais même à ne pas mettre de musique pour ne pas troubler cet état de grâce si rare dans cette période de ma vie.

La vilaine maison était au repos en ce vendredi soir, la pluie d'hiver battant aux fenêtres dans le jour gris finissant. La lueur du feu dans le poële se projetait sur le parquet culotté par les ans . Je me disais qu'il allait falloir que je me décide à aller allumer la lumière de la cuisine pour pouvoir continuer à lire distraitement un roman lu et relu suffisamment pour être devenu de mes amis.

Nous n'avions pas besoin de parler, et l'heure avançant, l'appel du malt se faisait sentir. Malgré tout et par pur esprit de procrastination je terminais la page confortablement enfoncé dans un fauteuil club. Invitée à prendre un verre, celle qui partage mes jours s'est dirigée vers le plan de travail pour y réaliser un tour de magie dont elle a le secret. L'ambiance était au recueillement, le chat méditait sur le canapé dans l'attitude du maître de sagesse qu'il était. Les yeux mi-clos, il évaluait la qualité de notre rite à l'aune du zen.

J'ai sorti les flacons et quelques amuses gueules salées préfabriqués pour les déposer sommairement sur la table basse. La pièce se parfumait peu à peu des épices de la préparation en cours. Sur une planche à découper, des noyaux d'avocats gisaient épars en compagnie de leur peau et d'un couteau à sushi qui avait les faveurs de l'artiste qui opérait son ballet.

Les cuisiniers me diront que tout est simple, qu'il suffit de faire ceci et cela pour obtenir le résultat tant espéré d'une recette savourée auparavant. Malgré tout je préfère éplucher et faire la vaisselle, dresser la table, servir le vin et découper quelques rondelles de saucisson. Mes tentatives de confection d'un repas sont fades et sans le petit plus qui pourrait réjouir des papilles, il ne s'y trouve pas la passion qu'on rencontre chez d'autres. Je crois que l'être humain est limité, que sa polyvalence ne peut être exhaustive et qu'il convient de s'attarder à ce qui nous motive pour le parfaire. Dans les autres domaines la survie suffit pour assurer son autonomie.

Nous n'avions rien prévu, pas d'autre ambition que celle de faire avec ce que nous avions au fond du réfrégirateur pour compléter ce préambule et savourer l'instant qui passe. Peu de mots ont été échangé ce soir là, rien de transcendant au menu non plus, mais la conviction de passer un bon moment était bien là. On aurait pu s'affairer pendant des heures pour valoriser cet instant rare passé ensemble, sortir une bonne bouteille ou sortir essayer un restaurant dont on nous avait parlé. Il n'en a rien été et c'est tant mieux. Le guacamole puisé avec des biscuits salés était délicieux et suffisait.

Lorsque je me suis levé pour fermer les volets, le chat s'est étiré, a fait un tour sur lui même et s'est recouché.



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