Il était une fois.


     Cette histoire m'a été contée par mon grand cousin Louis qui la tenait de son oncle Alexis qui l'avait entendue de son aïeul Alexis qui parlait de son père à la veillée le soir à la lueur du feu de cheminée.
Elle date de l'époque où l'on marchait pieds nus par les sentiers pour limiter l'usure des sabots, cette époque où le pays des mauvaises gens avait tant souffert de ne pas avoir compris tout le bien que ces messieurs de Paris voulaient pour lui.

En ce temps là donc, la paix était revenue après la virée de galerne et les gens avaient quitté les forêts et les bois pour fuir les bleus. Ils avaient retrouvé leur villages et leur fermes à reconstruire après le passage des colonnes infernales. Les récoltes étaient maigres, les bestiaux rares mais la grande guerre était finie.
Plus de fracas d'échauffourées dans les chemins creux, plus de hurlements de femmes qu'on force à la baïonnette, plus de craquements de tête d'enfants qu'on écrase à coups de crosse. L'air n'était plus empuantit de cette odeur tenace d'incendie et de chair brûlée, presque le bonheur.

Alors on a recommencé à se marier, à se retrouver pour faire la fête, célébrer les saisons et les passages de la vie. Dans la famille et ce jusqu'à mon grand père, tous les hommes jouaient du violon. Les instruments de mauvaise facture se transmettaient de père en fils lorsque c'était possible pour perpétuer cette aptitude au plaisir partagé. Ces meuniers aux mains larges comme des battoirs à linge étaient violoneux aussi loin que remonte la mémoire des conteurs. Marcheurs infatigables, ils sillonnaient les routes du bocages à chaque invite d'une connaissance pour faire danser le branle et l'avant deux jusqu'à plus d'heure à la belle saison. Le sac en toile de jute nouée d'une ficelle en bandoulière, il fallait les voir en chemise du dimanche et chapeau à large bord fêtés comme des héros à leur arrivée pour le bal. Au pied des moulins, les vignes des coteaux incendiées étaient stériles mais on avait recommencé à distiller tout ce qui tombait sous la main et l'ambiance s'en ressentait au pied de l'estrade montée sur les tréteaux ou officiaient les musiciens.

A la nuit tombée, lorsque l'ardeur des noceurs se déplaçait vers le lit clos ou s'effondrait sur un banc dans les vapeurs de la poire, le violoneux ramassait son instrument dans son sac, vissait son chapeau à large bords sur ses  cheveux blanchis par les épreuves et filait son chemin sous le regard des étoiles. A cette époque on connaissait le pays de ses pères comme sa poche . Et pour peu qu'on aille porter la farine à dos d'âne dans les villages alentours, le métier vous faisait élargir cette cartographie à tout le pays alentour. A propos d'âne, je vous conterai un jour l'histoire de mon ancêtre  Joseph du moulin de Clopin à Roussay qui avait vendu un âne à Louis Marie Grignon de Montfort un matin de novembre 1714 par une froidure de gueux. Mais ça c'était avant l'apocalypse et je m'égare...

C'est ainsi que mon ancêtre Charles allait , les sabots avec le violon dans le sac pour ne pas les user, fredonnant une chanson de garçon farinier au clair de lune. S'il n'était né que dix ans avant la Grande Guerre, celle ci l'avait catapulté à l'âge adulte très vite et vieillit prématurément au point que sa longue chevelure était blanche quand il s'était marié à 27 ans avec Renée du moulin de Salvert à Villedieu la Blouère. La fête avait été bonne, et la fatigue se faisait sentir pour rentrer au moulin. Faut dire que le Charles, s'il avait joué du violon, n'avais pas manqué de faire honneur aux flacons distribués largement par les mariés. Pour faire court il était brûlé bombardé comme dirait le cousin Marc. Sûr de ne croiser personne, il allait l'esprit tranquille jusqu'à ce que la fatigue aidant la poire, l'envie de faire la pause au bord du chemin ne le taraude. Avec son sac en guise d'oreiller, il se dit qu'un petit somme ne lui ferait pas de mal et qu'il aurait le temps de rentrer au moulin dans la matinée.L'époque était passée où il ne sortait pas sans emmener sa serpette et son fusil, le chapelet aux grains de plombs servant d'appoint quand sa cartouchière était vide. Morphée ne tarda pas à l'accueillir dans se bras et la haie derrière laquelle il s'était réfugiée retentit de sonores ronflements à faire se taire les oiseaux alentours. Quelle ne fut pas sa surprise de se réveiller quelques heures plus tard recouvert de feuilles et de branchettes avec à quelques mètres de lui un loup qui s'éloignait pour aller chercher ses congénères. L'ayant cru fraichement trépassé, l'animal l'avait recouvert pour se le garder pour plus tard.

En trois ans de massacres, de cadavres d'hommes et de bêtes laissés à pourrir par les chemins et dans les villages, le loup était revenu dans les Mauges. On ne sais pas d'où ils étaient venus, l'Auvergne était loin quand même, et puis on avait vu des chiens retourner à l'état sauvage, mais ça restait mystérieux. Toujours est il qu'ils infestaient maintenant le bocage et qu'ils n'arrangeaient pas l'état des troupeaux qu'il fallait surveiller de près.

Charles était en mauvaise posture, il pouvait toujours se réfugier dans un arbre mais il ne fallait pas qu'il s'imagine semer la meute à la course. La perspective de rester planté dans un arbre tenaillé par la faim et la soif ne le réjouissait pas trop mais l'époque était dure et les survivants de ces contrées aguerris. Donc il ruminait une solution pour rallier son moulin qui n'était maintenant plus qu'à une lieue du carrefour qu'il venait de quitter sans devoir jouer du couteau contre ces affamés.

L'histoire ne dit pas comment il a eu l'idée, mais il a sorti le violon de son sac et s'est mis à jouer. Avec la fureur d'un possédé, l'archet courait sur les cordes, la musique inconnue des loups les tenant en respect. Il entendait toujours les halètements de la meute, mais ils restaient à distance, aussi intrigués que prudents.

Et c'est ainsi que cheminant par les chemins creux le meunier arriva au logis, rêvant avec délectation de l'abri des épais murs de pierre et de la lourde porte de chêne. Sa femme en le voyant arriver ainsi pensa qu'il avait abusé de l'eau de vie mais en voyant les ombres à ses talons, elle se saisit du fusil qu'elle déchargea au jugé. Les loups ne demandèrent pas leur reste et s'égaillèrent dans les taillis avant de fuir en quête d'une proie plus facile.

Depuis, à la veillée, cette histoire est colportée de génération en génération, dernier héritage d'une culture orale. Pour exhumer l'histoire de la famille, il faudra courir les archives et les offices notariaux faute d'avoir su préserver ces trésors contés que nos anciens connaissaient par coeur.


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